La croix huguenote

Un symbole des protestants français : la croix huguenote

Cette page est une reprise de l’excellente présentation de ce symbole des protestants français, telle qu’elle est faite sur le site de la paroisse protestante d’Hagondange / Maizières-lès-Metz : http://epral.fr/croix_huguenote.php

 

La croix huguenote

 

Ni porte-bonheur, ni objet pieux, ni objet de culte – parce que la sacralisation des objets n’a pas cours dans les Églises réformées -, la croix huguenote est un signe qui affirme l’appartenance et l’adhésion à la foi protestante. Nommée ainsi depuis la fin du XIXe siècle et aussi appelée – bien plus rarement – « croix cévenole », elle est un signe de reconnaissance entre protestants de France, et plus particulièrement pour ceux issus du courant réformé. Franchissant les frontières, elle est retenue comme insigne par l’Eglise française de Londres, on la trouve aussi dans quelques temples hollandais où elle fut apportée par les émigrés français.

Au cours du temps, sa popularité fut variable : dès sa création son succès fut immédiat et l’abbé Antoine Valette de Travessac, curé de Bernis, relate le grand engouement populaire qui s’exprima pour cette parure pendant et après l’apparition des « prophètes » cévenols (prédicants laïques) ; puis pendant longtemps le port de ce bijou perdit un peu de sa signification dans la population réformée. Son renouveau date de 1910, lorsque deux expositions la remirent à l’honneur et que le Musée du Désert fut créé.

Fabriqué d’abord en métal, ce bijou peut être exécuté de nos jours en ivoire, bois, céramique, nacre, schiste… La croix huguenote peut apparaître sur toutes sortes de supports (broderies, peinture sur verre…), affichée en épinglettes, ornements de boutonnières, motifs de cravates, de foulards, de tee-shirts, en porte-clés…

Retour aux origines…

Son origine reste mystérieuse car la date et les circonstances exactes de son apparition sont mal connues.

Elle aurait été créée vers 1688 – 3 ans après la Révocation de l’Edit de Nantes – par l’orfèvre nîmois Maystre qui habitait 4 rue du Marché, à une époque où les protestants étaient systématiquement exclus du droit de postuler et de recevoir des décorations. Elle serait apparue d’abord dans le Bas Languedoc et dans les Cévennes ; puis elle s’est très largement diffusée dans toutes les régions protestantes de France, où une multitude incroyable de modèles différents a été produite.

L’orfèvre nîmois est dépeint par certains comme un protestant à l’esprit frondeur tandis que d’autres se contentent de le décrire comme un commerçant très avisé en affaires. Il créa donc astucieusement à l’usage exclusif des protestants cet insigne dont la forme générale était familière, mais dont certains détails et une disposition originale devaient rappeler sans les plagier les décorations défendues ; c’est pourquoi il aurait imaginé de suspendre une colombe à une croix de Malte fleurdelisée.

Petit détour par le domaine des décorations honorifiques de l’époque, pour mieux comprendre les conditions de son apparition.

Croix de Malte

Parmi les différentes sortes de croix, la croix huguenote semble avoir eu pour modèle premier la croix de Malte (insigne des chevaliers de Malte) ; il fallait se distancier le plus possible de la croix latine adoptée par les catholiques car pour les huguenots celle-ci correspondait à une adoration idolâtre du calvaire de Golgotha. Cet insigne de Malte très répandu dès le XIIe siècle dans le Languedoc et en Provence est composé de branches égales avec des échancrures triangulaires et dont l’ensemble s’inscrit dans un carré.

Croix du Languedoc

La croix huguenote aurait emprunté à la croix du Languedoc (croix de Malte dont les quatre branches ajourées sont allongées par des triangles qui forment des pointes de flèches) les boules ou perles qui en garnissent les pointes. En héraldique, on dit qu’elle est « boutonnée ».

Croix de l ordre du saint esprit

Elle présente aussi une très grande analogie avec la croix de L’ordre du Saint-Esprit, si bien que certains préfèrent penser qu’elle s’en inspire directement ; instituée par Henri III en 1578 et appelée ainsi pour rappeler qu’Henri III devint roi un jour de Pentecôte, la croix de cet ordre est en or, grande comme la paume de la main et suspendue à un ruban bleu, boutonnée, avec huit pointes émaillées blanc et vert et reliées entre elles par des fleurs de lis ; au centre de cette croix se trouvait une colombe rayonnante, et une devise. Bien entendu seuls les catholiques pouvaient aspirer à recevoir cette distinction qui disparut en 1830.

Plusieurs autres décorations françaises sont d’ailleurs conçues d’après ce type de croix :

Croix de lordre de saint Michel

  • Antérieurement à tous, l’Ordre de Saint-Michel -croix suspendue à un grand cordon noir moiré- fondé par Louis XI en 1469 pour commémorer la résistance du Mont Saint-Michel aux attaques anglaises.

 

    • Croix de l ordre de saint louis

      L’Ordre royal et militaire de Saint-Louis créé par Louis XIV en 1693 pour récompenser la valeur militaire des officiers et dont les non catholiques étaient exclus.

 

  • Croix du mérite militaire

    La croix du Mérite militaire sur fond rouge et au ruban bleu, créée par Louis XV en 1759 et qui était destinée à récompenser des officiers protestants servant dans les régiments étrangers. Ceux-ci ne pouvaient être français de nationalité mais seulement descendants de Huguenots, établis hors des frontières et servant le roi de France. Cette règle ne s’assouplit que beaucoup plus tard.

Dans la croix huguenote, les quatre motifs qui relient les branches entre elles sont des fleurs de lis stylisées rappelant celles qui figurent à la même place dans les ordres royaux de Saint-Michel, du Saint-Esprit, de Saint-Louis et dans le Mérite militaire. Pour sa part, Pierre Bourguet pense qu’il s’agirait plutôt de cœurs stylisés.

Quelle qu’ait été son origine, la croix huguenote exprima sans doute à l’époque de sa création, une sorte de défi ou de provocation face à l’ordre établi, visant à réparer l’ostracisme dont étaient victimes les huguenots : elle dérivait d’une décoration à la fois très officielle et très catholique -ce qui la rendait irréprochable- et en même temps elle permettait d’afficher sur soi une croix différente de la croix catholique abhorrée. Bien plus, à l’époque des persécutions, porter cette croix correspondait à une véritable profession de foi « puisque comme gage suprême de l’authenticité d’une abjuration, une Nouvelle Convertie devait fournir la preuve écrite qu’elle avait liquidé sa croix huguenote « . (P. Bourguet).

La croix huguenote possédait donc une signification à la fois politique et spirituelle.

 

Gros plan sur la colombe

En joaillerie, la colombe du Saint-Esprit est dite « rayonnante » quand elle est représentée la tête en bas et les ailes déployées, volant du ciel vers la terre. C’est ainsi qu’elle apparaissait au milieu de la croix de l’ordre du Saint-Esprit et, en pendentif, au-dessous de beaucoup de croix huguenotes.

Croix dite saint esprit

La colombe a souvent été employée seule comme bijou, appelé alors Saint-Esprit – ou encore plus familièrement pigeon -. Ce Saint-Esprit existe sous des formes très diverses, tantôt représenté avec de nombreux détails réalistes (bec, plumes, ailes), tantôt suggéré en filigrane, parfois aussi rehaussé d’une ou de plusieurs pierres précieuses. Traditionnellement on attribue à ce bijou une origine auvergnate mais en fait on en découvrit un peu partout comme en témoignent de nombreuses gravures de l’époque. Ce bijou se répandit très largement dans le Midi de la France, surtout dans les régions montagneuses plus pauvres.

Jacques Duchaussoy (dans le Bestiaire divin) signale qu’avant d’être un symbole biblique, la colombe était comprise comme la messagère de Vénus Aphrodite et qu’on la retrouve dans tous les cultes se rattachant à cette divinité…

Dans quels textes bibliques intervient-elle ? Pour l’holocauste après la naissance d’un enfant, les pauvres gens pouvaient remplacer l’agneau par deux tourterelles et deux pigeonneaux (Lév 12, v. 8). C’est aussi une colombe qui avertit Noé que le niveau des eaux du déluge avait baissé (Genèse 8 v.4), l’oiseau en question fut donc messager d’une promesse de nouveauté de vie ; et encore : les quatre Evangélistes racontent que Jésus, au moment de son baptême, vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe (Mathieu 3, 16 ; Marc 1,10; Luc 3, 22; Jean 1, 32).

L’oiseau devint ainsi un symbole classique du Saint Esprit descendant du ciel sur nous, évoquant la puissance de Dieu qui vient habiter le cœur de ceux qui l’invoquent.

 

Pour aller plus loin, petit crochet historique par le « trissou »

Croix dite saint esprit

Sur certaines croix anciennes une sorte de goutte figure à la place de la colombe, une boule de forme allongée et qui fut nommée, dans la région de Nîmes et ses environs, « trissou », c’est à dire en langue d’oc le petit pilon destiné à écraser une substance ou un aliment dans un mortier.

Du point de vue de sa signification, le trissou a été interprété de diverses manières dont certaines sont plus ou moins fantaisistes :

  • Trissou

    une larme ou une goutte de sang qui rappellerait les persécutions des protestants et l’affliction de l’Église Réformée ; cette interprétation est considérée comme une légende.

  • une langue semblable aux langues de feu qui se sont posées à la Pentecôte sur la tête des apôtres (Actes 2 v.3). Il s’agirait donc d’une autre image du Saint Esprit.

  • une fiole ou une ampoule qui représenterait la Sainte Ampoule destinée au Sacre des Rois de France, celle que Saint Rémy aurait reçue du ciel portée par une colombe – c’est ce que raconte la légende! – pour le baptême de Clovis. Pierre Bourguet penche plutôt pour cette explication.

Quant à Monique Veillé, elle s’interroge dans un numèro du journal protestant Réforme (26 juin 2003) sur la signification de cette larme, et elle émet l’idée qu’à l’origine ce petit appendice… ne voulait rien dire! C’est seulement après coup qu’on lui a attribué une signification plausible. D’après elle, les premières croix portées par les protestants s’inspiraient de bijoux déjà existants, et bon nombre d’entre eux se terminaient par une pierre oblongue précieuse.

 

Le mystère s’épaissit…

D’après certains spécialistes, tels que Raoul Allier – doyen de la Faculté de théologie de Paris en 1920 – ou Albert Doumergue -Docteur historiographe -, c’est la croix huguenote avec trissou qui exista primitivement dès la seconde moitié du XVIIème siècle et donc avant la création avec colombe du joaillier nîmois; il s’agissait d’une ampoule rappelant le sacre royal et fixée à une croix de Malte, qui aurait été spécialement fabriquée pour les protestants par un bijoutier lyonnais de la rue Mercière; mais on comprend mal pourquoi un tel bijou aurait fait sens pour des huguenots qui rejetaient si fermement le culte rendu à des saints… S’agissait-il de marquer un attachement au roi, un attachement « malgré tout » ?
L’hypothèse est contredite par le fait que lorsque l’abbé Valette évoque la création du bijou avec colombe par le joaillier nîmois, il ne semble pas parler d’une simple transformation d’un bijou en une autre forme, mais d’une véritable invention. Par ailleurs à une certaine époque, il existait aussi des modèles de croix huguenotes qui comportaient en même temps colombe et trissou.

 

Petit tour d’horizon au sujet de ce qu’on a pu dire sur les symboles de la croix huguenote

Croix huguenote en bois

Les fleurs de lis expriment une certaine loyauté pour le roi à l’égard duquel les huguenots ont toujours manifesté leur fidélité.

Les huit pointes munies de « boutons », par allusion à ce que l’on met sur un fleuret d’escrime pour le rendre inoffensif, rappellent les béatitudes.

Les branches de la croix retenues par un motif ciselé qui tourne tout autour du centre, évoquent la couronne d’épines du Christ.

Les rais de lumière qui irradient du centre et des pointes de la croix, évoquent le mystère de la Trinité.

Les quatre coeurs formés par le vide entre chaque branche redisent l’amour du Christ et son commandement ultime pour nous : « aimez-vous les uns les autres » (Jean 13/34).

Aucune de ces clés de lecture n’est vraiment garantie ni certifiée exacte, mais n’est-il pas humain de chercher à donner du sens, par une interprétation créatrice  » raisonnable « , à ce que les humains et les événements ont produit et créé?

 

Référence bibliographique :

Pierre Bourguet La croix huguenote. Musée du désert, Cévennes, 1991

 

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